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I I I I IV IV I I V IV I I / I I IV I IV IV I I V IV I I / I I I I IV IV I I V IV I I ... End. Delacroix Marie Devillard Thibaud
12 mai 2007

Poésie du prosaïque

Le haiku remonte au tanka. Longtemps je ne me suis pas levé de bonne heure et j'ai pensé qu'il y avait peu à tirer d'une si maigre parole. Le tanka semble être à l'origine une incantation shinto de 5 vers composée de deux parties. Dans la première, hokku, l'auteur mentionne une saison et la nature ; ensuite s'exprime un sentiment, une émotion particulière que suscite la scène. Le hokku deviendra haiku. Celui-ci se résume donc à la première partie de l'ancien tanka et suggère l'émotion sans la nommer. Nous touchons ici à l'essence même de la poésie au Japon - le yûgen - c'est-à-dire à l'art de suggérer, sans le décrire, un état intérieur.

Bashô (XVIIème siècle), d'abord maître du style comique - quand évaluera-t-on à sa juste valeur la place du sourire dans les Arts ? - influencé par les maîtres chinois Li-Po, Tou-fou, Wang Wei et Tchouang-Tseu, érigea le haiku en art absolu et lui donna ses premières règles. Je ne retiens ici que les principales : sincérité, légèreté, objectivité, tendresse à l'endroit des créatures vivantes et juste équilibre entre le principe d'éternité et le surgissement d'un événement éphémère, voire trivial.

Bien sûr le genre a évolué et connu des querelles d'école dont je ne dresserai pas la liste. Néanmoins j'y retrouve toujours ce principe qui me plaît tant : le nécessaire et suffisant. Peu de choses qui sont pleinement signifiantes, les plis multiples de la pensée poétique sur lesquels le lecteur à la liberté de méditer. Dans la polyphonie, tout se répond, dans le haiku aussi : le microcosme contient le macrocosme, la matière répond à l'esprit, l'apparence de morcellement forme unité. Le monde prosaïque fait poésie.

De la narine du grand Bouddha
jaillit
une hirondelle

Kobayashi Issa (1763-1827)               

On pourrait remarquer qu'il y a des équivalences de cette démarche dans notre littérature. Tel le Romantisme. Mais dans ce cas, la Méditation renvoie en général à la seule intériorité du poète et se déploie dans un espace prétexté. Et puis, la légèreté n'y est pas de mise. Discursif avec exagération, le romantique oblitère le monde au profit de l'ego. Sauf peut-être lorsqu'un être aussi effacé et délicat que Schumann s'exprime. Mais nous quittons les rives du langage.

Plus proche de notre époque, on trouve Ponge et sa défense de l'humilité signifiante de l'inanimé. Néanmoins, la chose coupée du monde empêche ce-dernier, et le lecteur avec lui, de spéculer par elle. Le Parti pris des Choses distingue, scinde. Il scie au lieu de réunir.

Il reste des poètes comme Bonnefoy dont la parole ne pèse pas. Un recueil, La Pluie d'été, témoigne d'une attention raffinée au monde qui, partant de l'objectivité de l'extérieur, sans lui imposer sens, rencontre la multiplicité des pays intérieurs, sans leur imposer mot.

Une pierre

Nos ombres devant nous, sur le chemin,
Avaient couleur, par la grâce de l'herbe,
Elles eurent rebond, contre les pierres.

Et des ombres d'oiseaux les effleuraient
En criant, ou bien s'attardaient, là où nos fronts
Se penchaient l'un vers l'autre, se touchant presque
Du fait de mots que nous voulions nous dire.

Yves Bonnefoy               

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